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19/06/2024
Esmée
DISLIMN
 
Voilà un visuel qui dénote clairement une ambiance lugubre et gothique, quoique ne versant pas dans le sinistre, a fortiori dans le grand-guignol. Pour autant, cette pochette ne livre certainement pas la formule de cet intrigant trio francilien, mais annonce idéalement le concept de ce premier EP. Riche de cinq titres, cette première œuvre documente musicalement l’anxiété chronique qui affecte le personnage d’Esmée. Autant dire que l’ambiance ne s’annonce pas légère, pas plus que le propos musical ne saurait s’imposer comme un bloc massif.

Dans sa biographie, le groupe revendique une équation convoquant le Stoner Rock et de mystérieuses nuances scandinaves (non définies et donc nébuleuses). Les noms de quelques formations sont cités, telle que MARS RED SKY, DEFTONES et KALANDRA. Hormis les déclarations et les définitions pro domo, tentons de rendre compte du contenu objectivement livré à notre sagacité.
En premier lieu, saluons la qualité et la constance de la prestation de la chanteuse Alix, en registre clair, modulées sans ostentation et raisonnablement expressives (pas de cabrioles techniques excessives, quelques passages parlés).

Même quand le substrat instrumental se fait nettement intense, Alix garde le cap et continue à propulser de manière particulièrement juste des paquets d’émotions qu’on sent fortes, quoique sous contention. Le rendu global s’avère relativement hypnotique, un poil analogue aux prestations majeures d’Anneke van GIERSBERGEN sur les albums fondamentaux Mandylion et Nighttime Birds de THE GATHERING ; n’allez pas penser à un clonage mais bien à une parenté élogieuse.

Du côté instrumental, la section rythmique s’adapte avec souplesse à toutes les variations de puissance, alternant subtilité et rugosité relative. Quant aux guitares, force est d’admettre leur variété, avec toutefois une forte propension aux plans paisibles et mélodiques. Ponctuellement, les gros riffs sont de sortie, voire les lignes de basse proéminentes (In My Mind). Cependant, au total, on se contrefout des références revendiquées, car elles ne sont ni aussi évidentes, ni aussi prégnantes qu’on pouvait l’imaginer.

Le fait est que DISLIMN s’impose avant tout comme un groupe d’ambiances et d’émotions. Constat logique, en tous points raccord avec le concept qui englobe ces cinq pistes : Esmée (personnage éponyme de cet album) se trouve en proie à une pathologie psychologique, l’anxiété chronique, dont les symptômes, nombreux et plus ou moins sévères, peuvent handicaper lourdement la vie et le développement. Avouez que cela nous change drastiquement et bénéfiquement des personnages féminins négatifs ou diminués (esclaves sexuelles, sorcières finalement menées au bûcher…) dont le monde du Metal s’abreuve depuis sa gestation.

Revenons au propos musical principal, à savoir un Rock lumineusement mélodique, quoique foncièrement connoté par un aspect dépressif [calmos : on n’évolue pas dans le gothisme, on se calme les crocs !]. Cependant, si l’on prend en compte les constats assez systématiques de tempos lents, on se demande si une influence Doom (non revendiquée, peut-être inconsciente ?) ne serait pas à l’œuvre, avec ce sombre parfum de déprime existentielle qui semble planer sur l’opus. Entendons-nous bien : il s’agit bien moins de coller à l’étique du tandem riff lourd-rythmique pensante – axiome essentiel du Doom – que d’en retirer les vertus rampantes et subtilement déprimantes. Lesquelles n’empêchent aucunement des prétentions à l’élévation de l’esprit, quoique sans aucunement viser l’aspect épique d’une partie du Doom.

Un autre paramètre contribue à l’attractivité de ce premier EP : la clarté générale du son. Critère disqualifiant a priori pour valider les influences Stoner et Doom. Que nenni : l’intérêt résidant avant tout dans le jeu subtil de lumière et d’ombre. Si le constat positif peut aisément rejoindre la référence à MARS RED SKY, force est d’admettre qu’à, au moins une occurrence, DISLIMN tranche vivement et positivement.

A priori, rien de prédispose Gullfoss à se distinguer, soit la piste la moins encombrante (moins de trois minutes), qui plus est strictement instrumentale, située en pivot de l’ouvrage. Si ce n’est que son riff introductif évoque quelque peu celui de The Zoo de SCORPIONS : étonnant… Et que le reste du propos électrisant consiste à entrelacer riffs acérés, calés sur une section rythmique volontairement binaire, et prestation d’une guitare solo digne du meilleur des guitar heroes entre 1977 et 1982. En solo, cela tranche, cela cisaille, cela pleure et cela charme, selon les préceptes développés chez UFO, SCORPIONS, puis MSG (oui, il y a ici une référence au jeu limpide de Michael SCHENKER) et quantité d’autres groupes de par le monde. Que l’influence soit consciente ou non, les faits sont là !

En somme, bravant les moyens limités d’un premier essai et prenant acte des multiples héritages musicaux prestigieux (Rock psychédélique 60’s, Hard 70’s, Metal progressif et Doom Metal), DISLIMN pose d’entrée de jeu une approche mesurée, jamais mièvre ni timorée, d’un univers tourmenté. Peut-être les aléas d’une production limitée sur un plan budgétaire n’ont-ils pas permis d’atteindre un résultat sonore à la hauteur des influences revendiquées. Il n’empêche qu’on ne m’empêchera pas de penser que l’intérêt de DISLIMN réside bien davantage dans ces agencements subtils et progressifs, plutôt que dans le gros son qu’affectionnent trop souvent les groupes de Stoner ou de Metal moderne : la nuance va tellement bien à DISLIMN !

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Alain
Date de publication : mercredi 19 juin 2024