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30/05/2024
Sent emèri gascon
MOISSON LIVIDE
 
Quand elle se considère comme un ensemble uniforme, la France insulte son Histoire et piétine même son présent culturel. Dans les années 70, l’Hexagone se trouva incroyablement vivifié par la multiplication des scènes Folk régionales. Au premier rang desquelles la Bretagne et ses héraults fameux (Alan STIVELL, TRI YANN, GWENDAL, Dan AR BRAZ, Gilles SERVAT…). L’emblématique cause armoricaine ne doit pas faire oublier les résurgences et réinventions propres à d’autres régions, au premier rang desquelles se dresse l’Occitanie. Une part de l’héritage musical occitan fut progressivement dévoilé lors des années 60 et 70, parallèlement à l’approfondissement des réalités de l’amour courtois et du répertoire idoine des troubadours. A telle enseigne que le chant populaire et anonyme Al entrada del temps clar devint un air de ralliement, tant politique que culturel (le René Clemensic Consort en rendit une fameuse version en 1977, parue chez Harmonia Mundi cliquez ici).

Quand bien même la vague régionaliste occitane a en apparence connu un reflux brutal, notamment au regard des réguliers regains de popularités des lointains cousins d’Armorique, jamais la langue du grand sud de l’actuelle France ne s’est tue, en témoignent notamment la gouaille des FABULOUS TROBADORS. Plus profondément enfoui dans les recoins du Rock extrême, on se doit de saluer STILLE VOLK (cliquez ici et cliquez ici), LA BREICHE, BOISSON DIVINE (cliquez ici), AORLHAC (représentant Black Metal de l’aile auvergnate de l’Occitanie, cliquez ici et cliquez ici), HANTAOMA, LOU QUINSE (combo du Piémont italien, cliquez ici)…

Faisant naturellement écho à la formation précédemment citée BOISSON DIVINE, MOISSON LIVIDE est un projet mené par Baptiste LABENNE, alias Darkagnan (un génial pseudo sûrement trouvé une fois la dernière goutte d’armagnac lapée) combine avec une maestria bluffante des apports issus de styles variés : Black Metal (rapidité et âpre férocité), Heavy Metal traditionnel (riffs carrés et tranchants, solos de guitare), Power Metal (vitesse, mélodies et chœurs amples), avec quelques apports Folk (fort à propos servis par des instruments idoines), voire une poignée d’arrangements farfelus. Pris séparément, chacun de ces apports ne présente aucune approche originale, encore moins novatrice ; comme quand il s’agit d’assembler avec goût et sens de la proportion les cépages ugni blanc, baco et colombard, tout l’art réside ici dans le dosage de chaque élément, au service de chaque instant de chaque composition.

Même si MOISSON LIVIDE n’aime rien tant que conduire sa charrette à grand train, on sait aussi ralentir à bon escient, histoire de créer des contrastes vivaces. De même, l’acidité du chant Black côtoie en permanence des chœurs puissants et des guitares harmonisées, sans compter les mélodies d’obédience Folk. En cette dernière matière, jamais le géniteur et animateur de MOISSON LIVIDE ne se laisse aller à lancer des mélodies vulgaires, pas plus que des rythmes fatigués par une trivialité trop évidente. Par exemple, le break qui aère en son milieu l’intense L’òmi xens passat m’évoque immanquablement l’univers du compositeur de musiques de film Ennio MORRICONE ; que ma référence soit juste ou pas, peu importe, elle témoigne de ce sentient sublime de se trouver confronté à des ambiances très diverses, sans avoir l’impression pour autant de visiter la Foire du Trône.

Par ailleurs, soulignons, tel un Parisien beau joueur (tiens, ça existe ?), que le choix d’un chant intégralement en gascon s’impose comme une riche idée, la musicalité et le rythme propre à cette langue correspondant pleinement à l’âpreté et à la mobilité requises par le style hybride pratiqué.

Les plus avisé.es d’entre vous se demandent peut-être comment une telle profusion d’éléments peut constituer un ensemble cohérent. MOISSON LIVIDE apporte une réponse fort paradoxale : les formats longs, soit deux de plus de 8’30 et deux autres dépassant largement les neuf minutes. Face à de tels espaces, combien de groupes de Metal (Heavy, Power, Prog, Black, Death…) se sont perdus dans des prestations amphigouriques et ineptes. Dans le cas présent, le sens de l’équilibre et la vitalité jamais démentie de l’interprétation emportent les préventions.

Rarement aura-t-on pu constater qu’un projet parallèle atteignait des niveaux d’excellence équivalents à la maison mère. Du coup, on peut tout à la fois savourer la BOISSON DIVINE et affronter la MOISSON LIVIDE, en constatant en deux occasions que les fruits de cette double récolte s’avèrent tout aussi nourrissants. Allez, laissez-vous tenter par une agressive et fière dose de Metal vous emportant comme un assaut assuré par des cadets de Gascogne : les bougres jurent et râlent dans leur langue natale, mais ils combattent avec une technicité et un impact universellement partagés.

Vidéo de La Sèrp d'Isavit cliquez ici et de Sent Empèri Gascon cliquez ici
Alain
Date de publication : jeudi 30 mai 2024