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Des vétérans bien vivaces !
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Rien n’est simple a priori concernant le cas de SORTILEGE en 2023. Résumons pour les plus jeunes. SORTILEGE a été fondé en 1981, pratiquait un Heavy Métal tranchant et virtuose, sorte de version augmentée de JUDAS PRIEST. Après une démo enregistrée en 1982, le groupe signe sur un petit label indépendant hollandais, Rave-On Records, dans le but de sortir en 1983 un EP (ou maxi-45 tours, comme on disait à l’époque !). Riche de cinq compositions, ce vinyle sans titre comporte les premiers titres marquants du groupe : Sortilège, Amazone et Progéniture. Car, oui, contrairement au choix effectué par bon nombre de formations françaises de Rock durant les années 70 (VARIATIONS, GANAFOUL à ses débuts, DOGS, LITTLE BOB STORY, FACTORY, THE FRENCHIES…), SORTILEGE s’assume pleinement dans sa langue natale, rejoignant ainsi un mouvement alors général, valable pour le Rock hexagonal à partir de la fin des années 70 (TELEPHONE, BIJOU, STARSHOOTER…). Suivant l’exemple bravache de TRUST, la jeune scène Hard et Heavy de l’époque se convertit au chant en français : au côté de SORTILEGE, nous entendrons également WARNING, SATAN JOKERS, BLASPHEME, H-BOMB, HIGH POWER, VULCAIN, DEMON EYES, ADX, DER KAISER, KILLERS (puis TITAN)…
Dès l’année suivante, le groupe publie son premier album, Métamorphose (paru chez Devil’s Records). Neuf titres, moins de 35 minutes : le groupe a concentré ses efforts dans des titres ramassés (seuls deux pistes dépassent le cap des cinq minutes), avec à la clé un Heavy Métal explosif, bardé de riffs tranchants (Didier DEMAJEAN au service), de solos explosifs de guitares (Stéphane DUMONT en démonstration) et de lignes de chant exceptionnelles (Christian AUGUSTIN, alias Zouille, au micro). Hormis la qualité et l’intensité déployées par les interprètes, s’impose l’impact de compositions très fortes : les brûlots D’ailleurs, Civilisation Perdue, Légende et Majesté, les plus complexes et contrastés Délire D’un Fou, Hymne À La Mort et Métamorphose (inspiré de la nouvelle éponyme de Franz KAFKA). Même si le son général de l’album demeure brut de décoffrage, il n’en sonne pas moins de manière dynamique et puissante, contrairement à bon nombre de productions contemporaines anémiques. Ajoutons que le groupe s’est offert le luxe d’une œuvre de l’immense dessinateur Philippe DRUILLET (La Nuit, La Trilogie Salammbô, adaptée de Gustave FLAUBERT, les aventures de Lone Sloane, Yragaël…) pour illustrer la pochette, se situant ainsi quelques crans au-dessus des critères esthétiques assez pauvres en vigueur dans le Heavy français de l’époque. À noter que l’album connaîtra une version en anglais, Metamorphosis, publiée par le label allemand Steamhammer, avec un succès certain.
Peut-être mal encadré à l’époque, le groupe semble tourner en rond dans l’Hexagone et ne perce pas réellement, ni en France, ni à l’international (même si la scène française de l’époque marquera durablement les futurs acteurs de l’émergence du Death Métal en Floride, l’immense Chuck SHULDINER de DEATH au premier chef). Restait à SORTILEGE à transformer l’essai d’un point de vue discographique. Ce sera l’album Larmes De Héros, paru en 1986 chez Rocks Records (version anglophone, Hero’s Tears, à nouveau chez Steamhammer). La pochette avertit l’auditeur : le contenu sera plus policé et rutilant. En effet, tout, de la pochette en passant par la production et le mixage, paraît plus professionnel et mâture. Paradoxalement, c’est ce que certains fans de la première heure reprocheront à cet album, à savoir une perte d’intensité. Indéniablement, le SORTILEGE de 1986 a troqué une bonne part d’agressivité et de fougue contre une maîtrise mélodique et rythmique tout aussi irrésistible. Pour ma part, après une indéniable surprise, j’ai été happé par cette combinaison rythmico-mélodique implacablement attrayante. Qu’il s’agisse des titres les plus alertes (La Hargne Des Tordus, Mourir Pour Une Princesse, Le Dernier Des Travaux d’Hercule, Messager, La Huitième Couleur De L’arc-En-Ciel), des morceaux plus lents plus lourds (Chasse Le Dragon, Marchand D’Hommes) ou de la ballade Heavy (Quand Un Aveugle Rêve), tout l’album s’avère attractif, avec un rendu, certes partiellement dompté, mais lumineux et chromé.
Pas suffisamment soutenu par le public français, SORTILEGE finit par jeter l’éponge. Des rééditions et des prestations éparses de Christian Zouille AUGUSTIN (la plupart initiées par Renaud HANTSON de SATAN JOKERS) feuilletonnent l’héritage de SORTILEGE des années durant. Pour faire court, dans la seconde décennie du 21ème siècle, une reformation se profile et s’annonce même, avant de tourner au fiasco total. Sans prendre parti et sans rentrer dans les détails, on se retrouve avec un SORTILEGE canal historique (autour des guitaristes Stéphane DUMONT et Didier DEMAJEAN) et un canal reconstitué (autour du chanteur Christian AUGUSTIN). C’est ce dernier qui l’emporte médiatiquement et, dorénavant, d’un point de vue discographique. En témoigne la parution en 2021 de la compilation Phoenix, riche de douze réinterprétations de classiques du groupe, plus deux titres inédits (cliquez ici).
Apocalypso est en effet la résultante de la mainmise du chanteur Christian AUGUSTIN sur la créativité et sur la postérité du groupe. N’interprétez pas négativement la phrase précédente, puisque, de mon point de vue, l’essentiel est que SORTILEGE soit à nouveau musicalement productif. De facto, 37 ans après Larmes De Héros, un nouvel album de SORTILEGE voit le jour, sous la houlette de ce chanteur emblématique. À ses côtés, on trouve le guitariste soliste Bruno RAMOS (ancien de MISTREATED et MANIGANCE), le guitariste rythmique Olivier SPITZER (passé par STATORS, SHAKIN’ STREET, SUPERFIZ, SATAN JOKERS), le bassiste Sébastien BONNET (TEMPLE OF SILENCE, ZUUL FX) et le batteur Clément ROUXEL (LYZANXIA, ONE-WAY MIRROR, T.A.N.K.), soit un mélange de vétérans et d’une section rythmique, certes plus jeune, mais déjà terriblement aguerrie.
Presque quatre décennies après le second album studio, que peut proposer aujourd’hui SORTILEGE ? Encore et à nouveau un Heavy Métal intransigeant sur le tranchant et sur l’impact rythmique (JUDAS PRIEST qui d’autre ?), chaque morceau se trouvant articulé entre différentes séquences, conformément à l’agencement Heavy-Prog imposé par IRON MAIDEN dès ses débuts. Histoire de détruire tout espoir de polémique, Apocalypso ne s’apparente aucunement à un naufrage, mais constitue un manifeste de Heavy Métal classique, réactualisé selon des critères formels dignes de 2023. Si le style demeure typique des normes propres au Heavy Métal des années 80, jamais le SORTILEGE de 2023 ne sonne passéiste, notamment grâce à une production à la fois chromée et percutante, le mixage combinant à merveille souci du détail et puissance d’ensemble : l’idéal, en somme.
Parmi les éléments de continuité, on trouve notamment une majorité de titres relativement brefs, puisque huit titres, sur un total de dix, affichent des durées s’échelonnant entre trois et cinq minutes. Des titres nerveux et tranchants, souvent assez rapides, comme Poseidon, Trahison, Le Sacre Du Sorcier, Walkyrie, Vampire, assurent fièrement leur filiation avec leurs glorieux prédécesseurs, comme D’ailleurs, Civilisation Perdue, Progéniture, Majesté, Amazone, La Hargne Des Tordus, Messager, Le Dernier Des Travaux d’Hercule… ; d’autres plus lents, carrés et lourds comme Attila ou La Parade Des Centaures, renvoient davantage aux Marchand D'hommes, Bourreau, Chasse Le Dragon. Après Délire D’un Fou et Quand Un Aveugle Rêve, Encore Un Jour se charge de représenter la ballade Heavy de circonstance, sans toutefois transcender le genre.
Au-delà de ce classicisme assumé, le groupe se permet quelques défis inédits. Ainsi, jamais SORTILEGE n’avait sonné de manière aussi épique que sur le majestueux et pesant Derrière Les Portes De Babylone (6’33 au garrot), dont les rythmiques de plomb, les chœurs énormes, rehaussés de mélodies orientales (instrumentales et vocales), assurent une filiation avec des classiques du type Gates Of Babylon de RAINBOW et Kashmir de LED ZEPPELIN : proprement envoûtant !
Autre pièce de choix, en guise de conclusion, la composition éponyme représente un authentique tour de force. Au long d’un cheminement irrésistible, long de presque huit minutes, Apocalypso s’ouvre sur une progression martiale, avant d’exploser littéralement sur des riffs énormes, posés sur une rythmique de plomb, avec une avancée hypnotique selon un tempo lent et hypnotique : CANDLEMASS n’aurait pas renié la dimension rythmique de ce titre ! Avec cette nuance d’importance : le travail minutieux apporté aux arrangements vocaux (chœurs, harmonies), qui ajoute une dimension transcendante à l’ensemble.
D’ailleurs, d’une manière générale, l’album est marqué par un soin particulier apporté aux arrangements, tant vocaux qu’orchestraux. Jamais SORTILEGE n’a sonné de manière aussi riche et imposante, avec une équation parfaite entre le soin apporté aux détails et un rendu global imposant. Cela dit, les arrangements demeureraient vains si deux critères primordiaux n’étaient pas honorés : la qualité des compositions et celle des interprétations.
Concernant la première dimension, SORTILEGE n’a rien perdu de sa capacité à prodiguer un Heavy Métal accrocheur sur le plan rythmique, avec des riffs teigneux et effilés, des structures allant à l’essentiel, des accroches vocales imparables, avec notamment des refrains plus massifs que jamais. Pour ce qui est des interprétations, il paraît légitime de traiter distinctement les prestations respectives du chanteur Christian AUGUSTIN, seul membre originel, et celles de ses nouveaux comparses. Très honnêtement, le chanteur offre une prestation impressionnante, au vu des décennies écoulées, rarement tendres pour les cordes vocales. Depuis la reformation du groupe, le vocaliste a travaillé pour retrouver ses marques et ses capacités. Certes, il privilégie aujourd’hui un registre de gorge agressif, mais parvient avec aisance à moduler et même à monter dans les hauteurs. La qualité des arrangements vocaux, déjà évoquée ci-avant, ne sonne à aucun moment comme une béquille, encore moins comme un camouflage ou une dissimulation. Il s’agit simplement d’un traitement qui aurait, j’en suis certain, haussé les albums des années 80 à des niveaux inédits, et qui permet à bon nombre des compositions d’Apocalypso de bénéficier de refrains de grande classe.
Quant aux qualités de ceux qui remplacent les instrumentistes originels, permettez-moi de souligner avant tout les qualités du tandem rythmique, avec une basse qui poutre et une batterie ultra-précise et ultra-mobile, riche en subtilités au niveau du charleston et des cymbales. Posés sur une assise à la fois aussi solide et mouvante, les riffs ne peuvent que gagner en impact. Dans les années 80, SORTILEGE se distinguait certes par le chant hors normes de Zouille, mais aussi par les solos de guitares foudroyants, prodigués par Stéphane DUMONT. Rude tâche que celle qui incombe à Bruno RAMOS ; blanchi sous le harnois, le soliste impose son style, incisif et tout en dextérité, tout autant capable de reproduire les luxuriances techniques exubérantes d’un Ritchie BLACKMORE, sans rien sacrifier de la narration mélodique, que de se montrer incisif et mordant (écoutez le bref solo presque Rock’n’Roll de Vampire). À noter les participations du groupe tunisien MYRATH (Derrière Les Portes De Babylone), notamment Kevin CODFERT, également claviériste d’ADAGIO, à l’œuvre sur le titre éponyme) et de Stéphane BURIEZ de LOUDBLAST (qui gronde sur Attila et La Parade Des Centaures).
En somme, que nous livre SORTILEGE en ce début d’année 2023. Un album qui poursuit l’aventure des années 80 : certes. Un disque tout à fait actuel, stylistiquement classique : que demander de plus ? Un parfait point d’entrée vers le Heavy Métal pour la jeune génération : quoi de mieux ?
Vidéo de Derrière Les Portes De Babylone cliquez ici et de Vampire cliquez ici
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