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26/07/2018
The room
OSTURA
 
Débutons cette chronique par un double aveu. Tout d'abord, je n'avais jamais entendu parler de OSTURA, groupe libanais dont le nom signifie légende et qui a d'ores et déjà publié un album auto-produit, Ashes Of The Reborn, paru en 2012. Ensuite, je suis passé complètement à côté de la sortie du second album au début de 2018. Or, The Room s'avère être un album imposant, voire un des meilleurs albums de Metal progressif de ces dernières années. Au fil des écoutes successives, on décèle une ambition artistique qui n'a d'égale que la maîtrise dans la réalisation de ce projet.

En termes d'écriture, il faut avant tout saluer le travail de composition et d'arrangement du chanteur Elia MONSEF (déjà entendu au côté du guitariste AMADEUS AWAD) et du claviériste Danny BOU MAROUN. Le premier se situe plutôt du côté du Metal progressif, le second a œuvré dans le domaine de la musique de films. La combinaison de ces deux talents livre un album conceptuel copieux, dont la trame narrative relate la dérive psychologique d'une femme recluse dans une pièce. Soit une somme de douze compositions, allant du format relativement bref aux développements nettement plus conséquents (tout de même plus de douze minutes pour le titre Duality), pour une durée totale d'une heure et quart. Forcément, devant un tel monument, on craint la prise de tête, l'exercice d'autosatisfaction, le trop plein démonstratif.

Effectivement, appréhender The Room nécessite une capacité à intégrer des données extrêmement diverses et riches. C'est le propre de beaucoup de projets conceptuels, l'interprétation relevant d'une formation de base, augmentée des interventions de nombreux invités. Déjà familier de AMADEUS AWARD, Arjen LUCASSEN (AYREON, VENGEANCE, AMBEON, STAR ONE) fournit un solo de guitare, au même titre que Marco SFOGLI (James LaBRIE, PFM, ICEFISH) et Ozgur ABBAK. Thomas LANG officie à la batterie (Paul GILBERT, John WETTON, Robert FRIPP, Peter GABRIEL...), Michael MILLS renforce les compétences vocales (AYREON, TOEHIDER), de même que la chanteuse Youmna JREISSATI. Le risque quand on aligne une formation aussi hétéroclite que nombreuse, c'est de se diluer dans les performances individuelles. Or, il n'en est rien, chaque apport individuel venant nourrir une expression collective forte et cohérente. A peine si on peut regretter que certaines parties vocales mixtes versent un peu dans la surenchère acrobatique et aiguë, un détail à ce stade d'expressivité globalement maîtrisée.

Car OSTURA possède un don finalement assez rare dans le Metal progressif, à savoir la capacité à écrire de véritables compositions, et non pas un simple empilement de plans plus techniques les uns que les autres. Riffs bourrus, solo lumineux, lignes de basse énormes et sévères, batterie sèche et très mobile, très nombreux breaks, déambulations rythmiques millimétrées, claviers pléthoriques, chants haut perchés, alternance dans les ambiances, oscillant entre intimité et élan dramatiques : incontestablement, OSTURA maîtrise sur le bout des doigts les codes du Metal progressif et combine un niveau technique imparable avec des mélodies puissantes. Si vous ajoutez à ceci une capacité à trouver les arrangements adéquats qui rehaussent la diversité des titres sans verser dans la surcharge, vous comprenez que nous avons là un album de haut vol. En matière d'arrangements, précisons que le groupe ne surjoue pas une quelconque identité orientale, sous prétexte qu'il est libanais ; quelques apports orientaux sont certes présents mais très justement dosés.
Par ailleurs, OSTURA s'est attaché les services de l'orchestre philharmonique de la ville de Prague, ce qui confère un rendu vivant et grandiose aux arrangements symphoniques. L'intelligence suprême consiste à ne pas se contenter de coincer des plages symphoniques entre de roboratives plages Metal mais bien de fusionner les deux, l'apport symphonique constituant un renfort précieux à la puissance métallique de l'ensemble.

Pour couronner le tout, le mixage et le mastering assurés par l'incontournable Jens BOGREN contribuent à rendre cette profusion d'éléments et d'interprètes cohérente et parfaitement lisible, équilibrant idéalement la finesse, le feeling d'une part, la dextérité, la puissance d'autre part.
Bien que paru sur une branche de la major Universal, ce second album de OSTURA me semble être passé trop inaperçu en France, raison de plus pour lui donner un éclairage tardif mais laudateur en cette période estivale. Le fait que OSTURA revendique l'épithète de cinématographique n'apparaît en rien comme une rodomontade mais traduit parfaitement une volonté de faire voyager l'auditeur au fil d'une histoire conceptuelle, celle d'une fille recluse dans une pièce qui devient son univers, en proie à son ambition, à ses pensées, mais aussi à ses peurs.
Je n'hésite pas à affirmer que The Room représente une acquisition indispensable pour tout fan de Metal progressif, voire de Rock progressif tout court. Merci à OSTURA pour cette séance !

Vidéos de Only One cliquez ici et de Escape cliquez ici
Alain
Date de publication : jeudi 26 juillet 2018