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30/10/2021
The sixth storm
COUNT RAVEN
 
J’ai découvert BLACK SABBATH au début des années 80 (périodes OSBOURNE et DIO confondues) et, au cours de cette même décennie, j’ai découvert le Doom Metal, dans sa version classique (SAINT VITUS) ou épique (CANDLEMASS, qui d’autre ?), avec un groupe qui se situait de manière très personnelle entre les deux, TROUBLE. Quand on se passionne pour un genre, dans toutes ses déclinaisons, je vous prie de croire qu’à l’époque, il était on ne peut plus ardu d’alimenter la dite passion (pas d’internet !). Or, après un premier album ô combien séminal paru sur le label français Black Dragon, CANDLEMASS fait paraître en 1987 le classique Nightfall sur un label britannique, Axis records. Captant les informations péniblement, je comprends que ce label, bientôt rebaptisé Active, cherche à développer des groupes aux profils particuliers, quels que soient les genres en jeu. Ainsi, le tableau de chasse s’enrichit de formations dignes d’intérêt, si ce n’est parfaitement aguerries : ARTCH, HEXENHAUS, CANDLEMASS à nouveau (via le fort mésestimé Ancient Dreams en 1988), ATHEIST, ANACRUSIS

Un nom apparaît sur le radar en 1990, répondant au double critère Doom et Active records : COUNT RAVEN ! Fort discrètement actif de 1987 à 1989 sous l’appellation STORMWARNING, ce groupe mené par le guitaristeDan FONDELIUS émerge sans prévenir avec un premier album absolument remarquable, Storm Warning, qui dévoile un Doom Metal très inspiré par BLACK SABBATH, avec la prestation vocale de Christian LINDERSON (futur TERRA FIRMA, GOATESS et SAINT VITUS, excusez du peu !). Bref, je tenais là une fusion exemplaire entre le Doom strictement dérivé du BLACK SABBATH originel (avec Ozzy OSBOURNE au chant) et le Doom épique, librement inspiré du même groupe avec Ronnie James DIO au micro. Le départ de LINDERSON pour SAINT VITUS (l’album C.O.D. en 1992) rétrécit COUNT RAVEN à un trio, plus que jamais reposant sur l’inspiration du guitariste et désormais chanteur Dan FONDELIUS. Dès le second album Destruction Of The Void (1992, chez Hellhound records, label berlinois essentiel), le désormais trio approfondit avec talent l’intersection décrite ci-avant. L’alchimie entre l’épaisseur rythmique et les intentions lyrique culmine sur l’album High On Infinity (1993), classique incontournable du Doom.

Après un Messiah Of Confusion (1996) solide mais moins inspiré, le groupe entra dans une période de turbulences qui aboutit à sa séparation deux ans plus tard. Il faudra attendre 2003 pour revoir COUNT RAVEN sur scène, en version trio des grandes années. Cependant, les mêmes causes provoquant les mêmes effets et, en 2006, le guitariste et chanteur Dan FONDELIUS se retrouve seul maître à bord. L’embauche d’une nouvelle section rythmique aboutit en 2009 à l’enregistrement d’un bon album, Mammons War. Comble de malchance, dès l’année suivante, de graves ennuis de santé du leader éloignent le groupe de toute activité. Cependant, au cours de la décennie 2010, quelques apparitions scéniques sont constatées ; on relève même le retour du bassiste originel, Tommy ERIKSSON entre 2011 et 2016.

En 2021, épaulé par une section rythmique composée du batteur Jens BOCK (déjà présent sur Mammons War) et du bassiste Samuel CORNELSEN, Dan FONDELIUS fait son grand retour. Comme pour conjurer des années de galères, l’homme propose l’album le plus copieux et le plus ambitieux de COUNT RAVEN. Vous y trouverez pas moins de neuf compositions, pour une durée totale d’une heure et treize minutes ! Seul un titre ne dépasse pas la barre des cinq minutes (Heaven’s Door et ses 4’25), deux autres demeurant en dessous des sept minutes. Pour le reste, c’est la fête des géants, avec au programme un morceau au-dessus de sept minutes (The Curse), un frôlant les neuf minutes (Blood Pope), un au-dessus de neuf minutes (Baltic Storm à 9’27), et, au sommet, The Nephilims à 10’28 et Oden à 11’49. Si, jusqu’à présent, chaque album de COUNT RAVEN comportait son lot de titres conséquents, c’est la première fois qu’ils dominent aussi outrageusement.

Cela dit, la qualité ne s’évalue pas au chronomètre ; reste donc à savoir si COUNT RAVEN en 2021 demeure fidèle à son passé, voire le transcende. Les premières minutes de titre introductif Blood Pope présente un combo en pleine démonstration de puissance : tempo médium, riffs secs et tranchants, section rythmique solide mais élastique, chant qui ressemble tant à celui d’un Ozzy OSBOURNE jeune qui aurait conservé des capacités en matière variation et d’expressivité. Pendant six minutes d’une efficacité redoutable, le groupe maintient un cap enlevé, dynamisé par des breaks habiles. Soudain, advient une brusque décélération qui nous plonge dans la lenteur et la pesanteur si typiquement Doom, accentuée par des cloches qui ponctuent de manière lugubre ce final splendidement funéraire.
Contrairement à son prédécesseur, The Curse affiche d’entrée un tempo lent et des riffs épais, et se tient à ce régime, maintenant une attention dynamique au gré de variations rythmiques efficaces et de lignes de chant dûment modulées. S’ensuit The Nephilims, qui s’ouvre sur un riff et une ligne de chant catchy au possible ; la gestion très dynamique de ce morceau imposant ne se démentit jamais, quitte à passer par un virage central en direction d’une approche plus lente et plus lourde, toujours soucieuse d’efficacité et de clarté.
Plage la plus brève de l’album, Heaven’s Door consiste en un substrat de plages de synthés profonds et d’un chant habité, parfait écho du magnifique Cosmos (sur High On Infinity). Parfait exemple d’une transcendance quasi-mystique, dont seul COUNT RAVEN semble capable.
Retour à des riffs intraitables, servis en mode lourds et lents avec The Ending, dûment dynamisés par des lignes de basse nerveuses et enrichies par des claviers porteurs d’une dimension dramatique ô combien palpable. The Giver And The Taker prend le relais en mode mid-tempo sévère, toujours aussi efficace et expressif.
Baltic Storm offre un cadre généreux pour accueillir des développements tant nerveux et tranchants, que lents et mélodiques. Comment ne pas ennuyer ? En conservant la simplicité biblique du dispositif Doom, soit une équation lenteur + ferveur, particulièrement ardue à animer. Le dispositif si redoutablement efficace reproduit ses effets si puissamment charmeurs : rythmiques accrocheuses quoique lancinantes, tempo médium hypnotique, chant clair vibrant et modulé, variations rythmiques dynamisantes. Comme une sorte d’épiphanie Doom ouverte au monde…

Réservons nos flèches à l’unique point – relativement faible de cet album-monde. Là où Dan FONDELIUS parvient avec brio à prolonger de manière génialement inspirante son substrat Doom Metal à mi-chemin entre Heavy Doom à la BLACK SABBATH d’une part, et explorations propres au Doom épique (CANDLEMASS, TROUBLE, KRUX), Goodbye propose une fort honorable prestation vocale, proche des BEATLES dans genre piano-voix dépouillé, puis subtilement réorchestré. Seulement, plus de six minutes pour exposer de manière scolaire des motifs mélodiques universels ne suffit pas pour échapper à la mièvrerie emphatique ; cela dit, ce morceau à part constitue un hommage du guitariste-chanteur à sa défunte épouse...
Cela dit, avec un seul faux pas avéré, après un tel silence discographique, COUNT RAVEN peut être amplement fier de son retour aux affaires, à la fois garant d’une tradition Doom inexorable et sensible, d’une interprétation spécifique, ouverte au Heavy Rock à la mode 70’s, à la réinterprétation laudative et piétiste des années 80, puis aux cribles esthétiques pertinents et légitimes propres aux temps modernes.
Ne même pas hésiter à l’acquisition : COUNT RAVEN uber alles. Forcément.

Vidéo de The Ending : cliquez ici
Alain
Date de publication : samedi 30 octobre 2021