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02/03/2022
Carpe diem
SAXON
 
Un après-midi de février près de Londinium. Cinq centurions indigènes entraînant leurs bataillons respectifs de légionnaires entament une pause bien méritée après de longues et ardues manœuvres militaires. Biffius Byfordus, le plus audacieux d’entre eux se mit à décrire en long, en large et en travers le plan de conquête de l’Armorique de l’empereur Jules César à ces quatre collègues. Cela faisait déjà un certain temps que le maître de Rome désirait ardemment récupérer ce petit village gaulois qui résistait encore et toujours à l’envahisseur du Latium. Paulus Quinnus, Dougus Scarrattus, Nibbsus Carterus et Nigelus Glocklerus écoutèrent attentivement les explications claires et précises de Biffius. Peu après ce concis briefing, les cinq compères débâtirent ardemment lors d’un brainstorming explosif, chacun exposant avec passion ses idées pour aider leurs camarades des camps retranchés d’Aquarium, de Babaorum, Laudanum et Petibonum qui luttent quotidiennement pour soumettre le chef Assurancetourix et sa horde de fous furieux imbibés de potion magique à la volonté de l’ancien proconsul.

Dérangeant cette réunion extraordinaire au sommet, plusieurs simples soldats passèrent près d’eux en les saluant bizarrement, les gratifiant en lieu et place d’un « avé », d’un « carpe diem », locution que plusieurs des officiers n’avaient jamais entendu de leur vie. Dougus se tournant vers Biffius lui demanda poliment ce que cela voulait dire, étant donné que ce dernier répondit aux vulgaires troupiers. Biffius dit à ses homologues qu’il s’agissait d’une phrase lancée comme cela par ses hommes qui, conscients du fait qu’ils allaient peut-être mourir au combat et, donc, qu’il n’y aurait sans doute plus de lendemain pour eux, affirmèrent haut et fort qu’il était vital de profiter pleinement de chaque instant du temps imparti avant le grand passage derrière le voile de la Mort.

Surpris par cette réplique de Biffius, mais pas ébranlés pour autant, ils se dirent finalement que cette révérence informelle fût pleine de sagesse et qu’il fallait désormais l’utiliser dans leurs activités civiles par respect pour leurs interlocuteurs. C’est alors que les leaders de ce groupe restreint de décideurs parlèrent entre eux de leurs ambitions artistiques parallèles, sans jamais avoir renoncé à leur liberté de création pendant leurs carrières de guerriers de la division britannique du metal lourd européen, poètes qu’ils étaient à leurs heures. Et c’est ainsi qu’ils se mirent d’accord sur un projet commun de gravure d’odes lyriques sur une tablette de cire orbiculaire qu’ils intituleraient Carpe Diem

Très pris par ces occupations diverses de conquérant de la NWOBHM et du monde antique, ces quatre dernières années n’ont pas été de tout repos pour SAXON et, plus particulièrement, pour son chef Biff BYFORD. Entre la sortie de l’excellent Thunderbolt en 2018 ainsi qu’un album de reprises sobrement intitulé Inspirations labellisés par son groupe, le chanteur charismatique a aussi pris du temps pour lui en 2020 afin d’enregistrer son tout premier opus solo, le costaud School Of Hard Knocks, ainsi que le bluesy Red Brick City, le disque de HEAVY WATER, la formation de son fiston Seb avec qui il partage le micro pour l’occasion. Tout cela malgré la pandémie et tous les soucis qu’elle a induit en ce bas-monde.

Les multiples occupations du vocaliste n’ont toutefois pas empêchées le quintet britannique de se pencher sur la composition et la mise en boîte de sa 23ème rondelle, déjà dans les bacs depuis le 4 février de ce millésime 2022.

Carpe Diem, pourrait-on se dire à la vue de cette superbe pochette vintage réalisée par l’illustrateur Paul Raymond GREGORY, doit sûrement se situer dans une veine hard rock plébiscitée par les anglais dans les balbutiements de leur carrière sur les légendaires LP que furent les Saxon, Wheels Of Steel, Strong Arm Of The Law, Denim And Leather, Power And The Glory et Crusader. Détrompez-vous car bien que le logo ait été épuré de son volume et de son ombre portée, que la couleur rouge flashy ait refait son apparition, le contenu de Carpe Diem est très loin de loucher sur le passé.

En effet, le comeback d’Andy SNEAP derrière les consoles nous promet une production extrêmement massive, comme à son habitude avec les troupes dont il s’occupe. A contrario des galettes des eighties qui n’étaient pas forcément mises en valeur de ce côté-là. D’où l’existence de la compilation Heavy Metal Thunder, remasterisée en 2002, destinée à redorer le blasons des meilleurs titres de SAXON entre 1979 et 1984.

En outre, ce nouvel album reste toujours structurellement plus technique à l’instar de tous ses prédécesseurs depuis la fin des nineties. Et aussi plus brut de décoffrage. Exceptions faites des nostalgiques Killing Ground, The Inner Sanctum et Call To Arms qui manquaient cruellement d’énergie.

Carpe Diem s’ouvre sur une chanson éponyme qui est, à l’instar de Witchfinder General, Sacrifice ou Battering Ram, un morceau de choix bien costaud. Contrairement à ces derniers, Carpe Diem comprend une introduction épique mais assez glauque au sein même de sa structure, tel le Senjutsu de la concurrence, ce qui lui permet de démarrer les hostilités aussi sec, Biff et ses collègues étant toujours en grande forme à travers ce brûlot au tempi enlevé qui nous demande solennellement, comme précisé plus haut dans le prologue historico-fictionnel de cette chronique, d’apprécier pleinement chaque instant de la vie, celle-ci ayant un caractère évanescent et pouvant aisément s’évaporer à tout moment, d’où l’expression carpe diem, sorte de bonjour romain des porteurs de glaives et pilums dont l’existence aussi brève que fragile ne tenait qu’à un fil lorsqu’ils furent appelés à batailler. C’est parce-que la situation vécue par le monde entier à cause de la pandémie de coronavirus s’en est rapprochée quelque peu que les britanniques se sont empressés de remémorer cette nécessité vitale de profiter du temps qui nous est imparti à la fois pour faire l’action juste et ne rien regretter. Musicalement, ça bouge énormément. Avec une architecture saccadée et un décalage inhabituel des couplets-refrains qui changent un peu, les musiciens sont arrivés à se renouveler légèrement sans toutefois renier leur identité.

Empreinte personnelle qui, d’ailleurs, demeurera quasiment statique tout au long de ce dernier opus, sauf sur Age Of Steam, petit frère de The Secret Of Flight, où l’on découvre un Nigel GLOCKLER d’humeur combative qui, durant un interlude en milieu de morceau, se met à jouer les tambours de guerre à la manière d’un Nicko MCBRAIN amateur de taiko. Pourtant, Age Of Steam, de par sa thématique, ne se prête guère à ce genre d’exercice, même si l’on peut, effectivement, parler d’affrontements, certes indirects, lors d’espionnages industriels ou de conflits commerciaux. Dans tous les cas, il s’agit d’une compo relativement classique pour SAXON, qui pulse un max malgré, là aussi, une rythmique boitillante et des soli toujours aussi inspirés, des éléments qui peuvent occasionnellement faire penser à une locomotive s’étant élancée à pleine vapeur depuis son dépôt d’origine vers sa gare de destination, telle la célèbre Rocket de George Stephenson ayant vu le jour dans un atelier en 1829, fabriquée pour le concours de Rainhill. Age Of Steam complète à merveille The Secret Of Flight pour refermer, sans aucun doute temporairement, le chapitre sur les prouesses techniques de la Révolution Industrielle.

Premier mid-tempo, l’émotionnelle The Pilgrimage, qui s’insère aisément parmi les Battalions Of Steel, Attila The Hun et Killing Ground, notamment de par son visage solennel et ses gimmicks caractéristiques, comme les cloches que l’on entend en fond sonore, ainsi que les passages atmosphériques qui lui donnent de l’envergure ainsi qu’un ton sentencieux. The Pilgrimage aurait gagné en force à être plus courte, mais le groupe a voulu conter une histoire qui peut, bien évidemment, toucher n’importe qui, puisque, comme l’a récemment précisé Biff BYFORD, toute existence peut être une forme de pèlerinage à partir du moment où chaque individu à un but à atteindre. De fait, même si un périple religieux, voire spirituel, peut sembler être prioritaire, toute autre quête n’en reste pas moins importante car elle est l’odyssée d’une âme partant à la recherche d’un objet rare ou d’une personne qui lui est chère, à l’instar d’un Roi Arthur et du Saint-Graal ou d’un lama tibétain et de l’Illumination. Le bien-être de l’Humanité ou des autres espèces animales en fait partie intégrante. C’est une ode à la sagesse intime propre à chacunE qui se narre au pluriel. Les musiciens font ainsi preuve de délicatesse et de sobriété afin d’apporter de la gravité à l’ensemble.

Comme pour exorciser les fantômes du passé ou la douleur face à l’éphémérité de la vie, la formation a fait ensuite appel non pas aux Ghostbusters, mais aux Dambusters, des bombardiers quadrimoteurs de la Seconde Guerre Mondiale, de modèle Avro 683 Lancaster, dont une escouade menée par le chef d’escadrille Guy Gibson, a mené un raid aérien pour lâcher de bombes sur la Ruhr, région sidérurgique de l’Allemagne, point stratégique de l’époque pour le régime Nazi, notamment à cause de la fabrication des pièces pour les avions de la Luftwaffe, composante prioritaire de la Wehrmacht. Ce titre véloce permet à nos compères de ressortir promptement de méditation précédente et de nous prouver encore une fois, s’il était besoin, qu’ils en ont encore sous la pédale, bien que trois membres aient dépassé les 70 piges. On pourrait croire que SAXON a trouvé l’élixir de la jeunesse éternelle pour appuyer autant sur le champignon. Il s’agit là d’un Aces High mis au goût du jour. Sa facette Sniper ressort assez régulièrement, ce qui en fait un titre essentiel sur ce Carpe Diem homogène.

Tout comme son successeur, Remember The Fallen, une petite perle de heavy metal traditionnel avec ses riffs à la Hard And Fast. Dont la thématique pourtant dramatique, à savoir la disparition des victimes de la Covid-19, tombés au combat durant leurs luttes fatidiques contre la maladie, n’empêche en rien SAXON d’en extraire le positif et de surfer sur une tonalité assez « joyeuse » pour ne pas tomber dans le pathos. Avec ce tempi vraiment très vif et ces guitares acérées, le quintet a souhaité rendre hommage au courage de ces guerriers de l’anthropocène plutôt que d’en faire des martyrs. C’est le point d’orgue de Carpe Diem, qui n’entame en rien la qualité des cinq dernières pistes de l’album.

Supernova, comme son nom l’indique, est une terrible explosion d’agressivité, de mélodies et de rapidité, dont le jumeau infernal ne pourrait être que le ténébreux Sacrifice, les premières secondes des deux morceaux étant étonnamment similaires. Tandis que le théâtral Lady In Gray se situe dans une veine Nosferatu ou de Queen Of Hearts pas piquée des vers. Très agréable à l’oreille, notamment au travers d’une rythmique basse-batterie-guitares là encore intermittente sur les couplets et de chœurs doublés, sur lesquels on trouve Seb BYFORD, cette chanson n’est, toutefois, pas la plus indispensable sur Carpe Diem, mais elle se laisse apprivoiser au fil des écoutes.

Le trio clôturant ce Carpe Diem survitaminé commence par All For One, une piste au feeling vintage prononcé qui n’est pas sans rappeler les pépites Heavy Metal Thunder, Motorcycle Man, Freeway Mad, Princess Of The Night ou Nunquam Deditionem ( Never Surrender), ceci avec un son plus percutant, mais manquant d’harmoniques, notamment sur les cymbales. L’énervé Black Is The Night est une déclaration d’amour à la nuit, comme le fût Night Of The Wolf sur l’hostile Sacrifice, qui relève le niveau de la triade, cependant il se rapproche plus de Eye Of The Storm en raison du riff principal, de la rythmique martiale et de l’ambiance qui s’en dégage. La lanterne rouge de Carpe Diem, Living On The Limit se perd entre They Played Rock’n’Roll, là encore pour la similitude avec MOTÖRHEAD sur ce tempo trépignant à la Mikkey DEE, et des parties de guitares plus communes à SAXON, telles celles de Speed Merchant, Destroyer ou All Guns Blazing.

Carpe Diem est un enregistrement plutôt habituel chez SAXON. Surfant sur un heavy metal musclé traditionnel, mais portant en lui une bonne dose de modernité au travers d’une production claire et massive, le groupe continue sur la trajectoire qu’il s’est personnellement lancée depuis le très bon Unleash The Beast tout en apposant ponctuellement de nouveaux éléments lui permettant de se renouveler un tant soit peu et de faire respirer sa musique. C’est ce qu’il a fait sur Sacrifice avec Made In Belfast, sur Battering Ram avec The Devil’s Footprint et Kingdom Of The Cross, sur Thunderbolt avec Nosferatu (The Vampire’s Waltz), They Played Rock’n’Roll et Predator. Sur Carpe Diem, la formation évolue encore avec les titres Carpe Diem, Age Of Steam et Lady In Gray, cependant de manière trop timide cette fois-ci. Ce qui est bien dommage étant donné que Biff a fait plus d’efforts à ce niveau sur son opus solo School Of Hard Knocks. Néanmoins, SAXON reste fidèle à son image de rebelle persistant et nous gratifie d’un 23ème opus extrêmement plaisant et direct. Carpe Diem montre des musiciens en pleine forme et toujours aussi talentueux, à l’instar des guitaristes Paul QUINN et Doug SCARRATT qui nous gratifient de soli magistraux et de riffs monstrueux, tout comme la section rythmique Nibbs CARTER et Nigel GLOCKLER qui sont les véritables moteurs qui mettent en marche l’ensemble. Biff BYFORD, quant à lui, est égal à lui-même, majestueux dans ses envolées vocales, malgré ses récents problèmes de santé. SAXON est une troupe d’une solidité à toute épreuve qui a su conserver son empreinte à travers les quatre dernières décennies. Contrairement à un IRON MAIDEN en perpétuel changement, SAXON n’a injustement pas connu le succès qu’il mérite pourtant, vu son niveau de professionnalisme. Nonobstant la horde de fans partout dans le monde qui le suivent fidèlement depuis des années. Comme le prouve, par exemple, l’entrée de Carpe Diem dans les charts français en bonne position (18ème lors de son entrée, 52ème le 26 février). Carpe Diem qui, après un Senjutsu de la Vierge de Fer, semble être plus que jamais un présage face aux événements actuels aux portes de l’Europe. Profitons, donc, pleinement de chaque instant, comme nous le conseillent vivement Biff BYFORD et ses collègues. Car avec le Docteur Folamour russe qui a pété un boulon, tout peut basculer d’un instant à l’autre. Restons, cependant, dans la positivité, gardons espoir que tout s’arrange et croisons les doigts, touchons du bois, cueillons des trèfles à quatre feuilles (ça tombe bien, le 17 de ce mois, c’est la Saint-Patrick). Et buvons à notre santé et à celle de nos proches, tant qu’il est encore temps…



Line-up :

Biff BYFORD (chant)
Paul QUINN (guitares)
Doug SCARRATT (guitares)
Nibbs CARTER (basse)
Nigel GLOCKLER (batterie)


Equipe technique :

Biff BYFORD (production)
Seb BYFORD (enregistrement chant)
Andy SNEAP (production, enregistrement guitares et basse, mixage, mastering)
Jacky LEHMANN (enregistrement batterie)
Paul Raymond GREGORY (artwork)
Enrique ZABALA (artworks additionnels)
Steph BYFORD (photographie)


Guests :

Seb BYFORD (chœurs)


Studio :

Guitares et basse enregistrées au sein des Backstage Recording Studios (Derbyshire, UK)
Chant enregistré au sein des studios Big Silver Barn (York, UK)
Batterie enregistrée au sein des studios Velbyproductions (Grünenplan, DE)


Crédits :

Biff BYFORD (paroles, musique)
SAXON (musique)


Tracklist :

1) Carpe Diem (Seize The Day)
2) Age Of Steam
3) The Pilgrimage
4) Dambusters
5) Remember The Fallen
6) Super Nova
7) Lady In Gray
8) All For One
9) Black Is The Night
10) Living On The Limit

Durée totale : 45 minutes environs.


Discographie non-exhaustive :

Saxon (1979)
Wheels Of Steel (1980)
Strong Arm Of The Law (1980)
Denim And Leather (1981)
Power And The Glory (1983)
Crusader (1984)
Innocence Is No Excuse (1985)
Rock The Nations (1986)
Destiny (1988)
Solid Ball Of Rock (1990)
Forever Free (1992)
Dogs Of War (1995)
Unleash The Beast (1997)
Metalhead (1999)
Killing Ground (2001)
Heavy Metal Thunder [Compilation] (2002)
Lionheart (2004)
The Inner Sanctum (2007)
Into The Labyrinth (2009)
Call To Arms (2011)
Sacrifice (2013)
Battering Ram (2015)
Thunderbolt (2018)
Inspirations [Compilation de reprises] (2021)
Carpe Diem (2022)


Date de sortie :

Vendredi 4 Février 2022



Carpe Diem (Seize The Day) (Clip Officiel)

Remember The Fallen (Clip Officiel)

The Pilgrimage (Clip Officiel)

神の知恵
Date de publication : mercredi 2 mars 2022