18 / 20
28/05/2022
The mighty delta of time
SMOKE
 
Diantre, c’est incroyable le nombre de groupes et d’artistes musicaux ayant opté pour le nom SMOKE !!! Parmi des dizaines d’autres, nous allons nous intéresser à un trio originaire des Pays-Bas, qui sort un premier album intriguant : The Mighty Delta Of Time. Comme le titre du disque le laisse présager, les trois complices semblent fascinés par l’ère géographique du delta du Mississippi. Mais plutôt que de pratiquer exclusivement l’un ou l’autre des styles musicaux généralement liés à ce pays de bayous (Delta Blues, Cajun Music, Rock sudiste, Sludge), SMOKE préfère braconner chez tout le monde, afin de parvenir à concocter un univers qui évoque indéniablement les ambiances moites et marécageuses visée, tout en revêtant un caractère plus universel.

Il est donc entendu que les schémas du Blues acoustique et de la musique cajun rôdent en permanence, avec ce sens du dépouillement d’une part, de l’ondulation déambulatoire d’autre part.
Même quand la guitare solo s’électrise, on a le droit à des notes éparses, langoureuses ou déchirantes, longuement tenues, parfois jouées en slide, quand ce n’est pas un dobro qui se fait entendre.
Et puis, inévitablement, il faut que ces approches subtiles, presque rampantes, acceptent la confrontation avec de francs orages électriques : la guitare slide déchaînée et les chœurs explosifs de Lineage, des séquences épaisses et lourdes évoquant le Sludge...

Parfois, ces guitares électriques pleines d’écho, combinée à des rythmes roides, m’évoquent curieusement la raideur laconique du Rock gothique (Bereft notamment sent très fort les années 80). Un cousinage paradoxal, accentué par le chant de gorge, clair, grave, modulé de manière subtilement théâtrale, un peu à la Layne STALEY (un titre comme Motion rappelle ALICE IN CHAINS en acoustique). Rien à voir avec un quelconque chant typé Blues, alors même que le rendu complète à merveille à la fois le versant dépouillé et celui nettement plus lourd.

En clôture d’album, les trois musiciens ont réservé deux pièces aux durées conséquentes, puisqu’excédant les dix minutes. Il y a tout d’abord Time, avec son introduction toute en notes délicates (quel subtil enchevêtrement des guitares électrique, acoustique et slide) qui aboutit à un chant merveilleusement harmonisé, tandis que le mode électrique ne s’installe progressivement, pour mieux céder la place à un break à nouveau très dépouillé. Et ainsi de suite jusqu’à la fin à l’intensité paroxystique. La progression dramatique est une pure merveille et l’ambiance générale confine au mysticisme, comme dans les pièces les plus barrées de THE DOORS. C’est un peu comme si le Blues plongeait dans un bain de psychédélisme pour en émerger transcendé.
Justement, le Blues s’impose comme la matrice de Umoya (le vent, en zoulou). Là encore, tout commence tout doucement, quelques notes de Blues presque prudentes, et ce chant comme habité, animé par des variations tout en maîtrise : c’est aérien et puissant comme du Jeff BUCKLEY ! Mais le tour de force sera réalisé à la guitare : à partir de 4’23, un léger solo semble flotter jusqu’à une montée en puissance, aussi irrésistible que le meilleur Sludge, avec toujours ce psychédélisme sous-jacent. A 5’50, un second solo se présente sur la ligne de départ : électrique, lent, torturé, suintant de Blues psychédélique, il entame une incroyable reptation longue de plus de quatre minutes, convoquant le feeling d’un Robin TROWER et l’usage forcené et âpre de la wah-wah à la Ron ASHETON (THE STOOGES, NEW ORDER, DESTROY ALL MONSTERS, NEW RACE). Loin de constituer un exercice de style prétentieux, ce solo exprime un sentiment dans chacune de ses notes et constitue au final un pic émotionnel imparable.

Quel magnifique premier album que ce The Mighty Delta Of Time et quelle découverte que ce trio, qui est bien loin d’être un simple écran de fumée. Allez, les gars, un second album, vite !

Vidéo de Motion cliquez ici
Alain
Date de publication : samedi 28 mai 2022