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Dossiers
Reportage :  RËQUIËM - Rencontre avec Sixtine AUDEBERT
Date de publication : 26/10/2024
Auteur : Pumpkin-T
Nous sommes en 2023 et METAL INTÉGRAL perpétue sur le web la longue aventure du fanzinat sans se poser de questions existentielles. Soudain, une jeune universitaire et journaliste - Sixtine AUDEBERT (« Mauvais Genres » France Culture, Best Magazine) - interviewe Alain et Pumpkin-T dans le cadre de la préparation de sa thèse.
Quelques mois plus tard sortira RËQUIËM Fanzine #3, centré sur le fanzinat des 80s aux 90s, émaillé d’une palanquée de témoignages d’acteurs de l’époque et de l’iconographie idoine.
L’heure aurait-elle finalement sonné de nous poser ces questions existentielles ?


***


- Pumpkin-T : Bonjour Sixtine, après que je sois passé ainsi qu’Alain à la moulinette de ton questionnement, il m’a semblé honnête (dans un sain esprit de vengeance) de te rendre la pareille et de t’interviewer à mon tour. Peux-tu nous expliquer ce qui t’a amené à réaliser ces investigations ?

- Sixtine AUDEBERT : En quelque sorte, je suis née trop tard et je suis fascinée par la grande aventure du rock (et du cinéma : pour moi, les deux ne font qu’un), étroitement liée aux derniers feux de la presse papier... J’ai longtemps fantasmé la liberté qu’a cristallisée le rock, et j’ai désiré enquêter sur là où le rêve avait pu échouer. Je me suis donc aménagé un petit espace à l’Université pour explorer tranquillement les archives de presse (les fanzines de hard sont mon « cas d’étude », ce que j’ai étudié le plus à fond ; mais ma problématique englobe la séquence 1950-1990 et toute la pop’culture, de la bande-dessinée post-68 aux films de genre ou non, en gros de Salut les copains ! aux Inrocks en passant par Positif, Rock & Folk, Actuel, Metal Hurlant, Mad Movies, etc.).

- Pumpkin-T : Plonger dans la pop culture, ok. Mais de là à sortir son propre fanzine, il y a un pas à franchir.

- Sixtine AUDEBERT : C’est Samuel GUILLERAND, mon compagnon, ex-musicien, journaliste culturel, auteur de plusieurs livres (il a notamment co-écrit le livre Enjoy the Violence – Une Histoire Orale des origines de la scène thrash/death en France), qui a également édité des fanzines pendant une vingtaine d’années (sur le rock, le cinéma de genre, la BD et la littérature), qui m’a poussée à publier le premier numéro de RËQUIËM (sur les années Enfer), afin que je mette un peu les mains dans le cambouis et que j’allie la pratique à la théorie. RËQUIËM est une publication que nous pensons et façonnons à deux. Il a contribué à de nombreuses interviews, il gère l’aspect visuel et la maquette, ainsi que l’organisation de sa fabrication et de sa distribution. Nous mettons en place les sommaires ensemble, nous éditons et réécrivons la plupart des interviews à quatre mains, de même pour le travail de correction et de secrétariat de rédaction.

- Pumpkin-T : J’ai bien conscience que dans ton esprit RËQUIËM est un triptyque, mais n’y a-t-il aucune chance de voir un N°4 sur les radios libres, les labels spécialisés, les disquaires indépendants ou que sais-je encore ?

- Sixtine AUDEBERT : Ha ! Non, hélas ; les autres activités amatrices (radio, asso’, labels) sont bien abordées au passage dans ce numéro 3, mais nous avons le sentiment d’avoir bien balisé le sujet de la presse hard / heavy / metal, qui est en fait notre vrai sujet.
J’exprimerai cependant un petit regret : parmi mes hypothèses importantes de recherche, je pense que le ton relâché de cette presse spécialisée est étroitement liée à la pratique de la radio. Pour le prouver, j’ai cherché à me procurer quelques enregistrements d’époque… Même si des fans possèdent encore des cassettes (et qu’il y a un ou deux épisodes de Doum Doum Wah wah sur YouTube), on n’a jamais franchi le pas de la numérisation, ils n’ont jamais trouvé le temps (ceci est un appel déguisé !)

- Pumpkin-T : Fin de l’aventure, donc.

- Sixtine AUDEBERT : Non, RËQUIËM s’envolera vers d’autres horizons ! Il est appelé à devenir une « collection tournant autour de l'âge d'or de la presse culturelle et de la critique journalistique en France, reconvoquant une période faste de la "culture jeune" de notre pays et mettant en lien le rock (sous toutes ses formes), le cinéma, la bande dessinée, la radio et la littérature ».

- Pumpkin-T : Après tous ces interviews, quelle image te fais-tu de ce qui séparerait les faiseurs de fanzines de la presse officielle ?

- Sixtine AUDEBERT : J’ai surtout noté les similitudes entre fanzines et magazines spécialisés, que je propose de rebaptiser sous la seule étiquette de « presse amatrice » – au sens étymologique de « passionné » autant que celui de « bricolé ». Certains zines se professionnalisent, et les magazines de hard sont toujours de gros bouquins de fans, mais avec plus de ressources financières. Les journalistes ne sont pas réellement « plus pro’ » dans ces canards, la passion est à la base de tout. C’était peut-être plus vrai à l’époque, mais ça m’étonnerait tout de même qu’aujourd’hui le critère d’entrée à Rock Hard soit l’école de journalisme !

- Pumpkin-T : Donc, la même passion des deux côtés et une simple asymétrie de moyens. C’est ça ?

- Sixtine AUDEBERT : Le « mainstream » et l’ « underground » concernent en réalité des questions d’échelle, et non de qualité : dès à partir du moment où l’on désire atteindre un plus large public, on est forcé de faire des compromis et des concessions sur les sujets ; les fanzines, parce qu’ils sont petits et ont peu d’enjeux financiers, peuvent se permettre de prendre des risques et de soutenir des groupes émergents (et encore, la plupart du temps, leurs auteurs pratiquent plutôt la compilation encyclopédique que le « défrichage »).
En ce sens, autre point important, le fameux « underground » dont tout le monde se réclame n’existe que dans et par les fanzines : dans la réalité, il n’y a que des groupes de stade soutenus par les magazines qui écoulent des milliers de LPs, et des groupes s’adressant à un public pointu et/ou local jouant dans des petites salles et dont la promotion par cassettes démos correspond aux canaux ultra-spécialisés des fanzines. C’est un peu schématique, mais l’essentiel est dit : c’est aux artistes de se poser la question de quel public ils veulent/peuvent atteindre avec ce qu’ils proposent.

- Pumpkin-T : Je me demandais si ces rencontres avaient eu une influence sur les choix de musique que tu écoutes.

- Sixtine AUDEBERT : Ah oui, chouette question !

- Pumpkin-T : Merci. J’ai pas fait exprès.

- Sixtine AUDEBERT : Effectivement, j’ai commencé ma thèse en écoutant principalement du glam/sleaze (MÖTLEY CRÜE, DAVID LEE ROTH, CINDERELLA, SKID ROW, L.A. GUNS, DANGEROUS TOYS, SHOTGUN MESSIAH, FASTER PUSSYCAT, TIGERTAILZ… et des trucs récents plus douteux, du genre CRASHDIËT, VAINS OF JENNA, CRAZY LIXX, BUCKCHERRY, STEEL PANTHER, WILDSTREET ou BLACKRAIN) et du hard rock ou heavy classique voire FM (WASP, TESLA, IRON MAIDEN, LOUDNESS, OZZY OSBOURNE, ALICE COOPER, RATT, QUIET RIOT, DOKKEN, DEF LEPPARD, FIREHOUSE…) que je pensais naïvement retrouver dans quelques fanzines – même un tout petit peu ! Hélas (pour moi), ces genres sont complètement ostracisés pour laisser toute la place au hard français (ATTENTAT ROCK, TITAN, VULCAIN, KILLERS, JUMPER LACE et consorts), au speed, au thrash et au death… Il a bien fallu que je me mette dans l’ambiance.

- Pumpkin-T : Ah. Il y a bien une différence éditoriale fanzines/magazines. Perso, j’ai toujours pensé que les fanzines étaient plus puristes (cette absence de compromission dont tu parlais). En conséquence de quoi, c’était plus ou moins du tir à boulets rouges sur cette frange d’artistes soi-disant hard qu’on taxait à l’époque de posers ou de wimps. Et donc ? Tes découvertes dans les fanzines ?

- Sixtine AUDEBERT : Parmi les petites trouvailles fanzinesques que je retiendrais : STORMTROOPERS OF DEATH avec Speak English Or Die (1985) et NOMED avec Troop Of Death (1988), deux groupes de crossover, un genre que je ne connaissais quasiment que de nom ; une formidable décharge d’énergie juvénile, des escadrons de guitares bien bourrins et frontaux, qui résonnent avec leurs artworks martiaux barrés !

- Pumpkin-T : Ouais, tout un univers ! Abordons à présent le fameux paradoxe du metalleux, à savoir qu’il réclame la médiatisation de sa musique tout en affichant la volonté à rester en dehors des masses… Ça t’inspire quoi ?

- Sixtine AUDEBERT : Tout est dit dès les premiers numéros d’Enfer Magazine… « Autour de nous, tous commencent à s’agiter : des émissions à la télé ; un grand festival à Mulhouse ; depuis quand, on attendait ce moment ! […] Montrons-leur ce que nous sommes vraiment et une fois que le Hard-rock et le Heavy-metal se seront épanouis dans notre société, alors là, nous aurons gagné une grande partie de la bataille. » (sic)

- Pumpkin-T : Punaise ! Tu as appris des passages d’Enfer par cœur ?

- Sixtine AUDEBERT : Et encore, je te fais grâce de la pétition au ministre de la communication… S’il ne s’agit que de revendiquer la liberté de consommer ce qu’il nous plaira (aussi bruyant, violent et désagréable aux voisins que soit votre artiste préféré), cela peut toujours s’arranger, si ça rapporte un peu d’argent. C’est même tout à fait dans l’intérêt du capitalisme de ratisser le plus large possible !

- Pumpkin-T : Promouvoir le heavy metal aujourd’hui, penses-tu que ce soit plutôt la guerre de Carnaval contre la Culture, ou bien une croisade de Don Quichotte ?

- Sixtine AUDEBERT : Promouvoir ? Je crois que le metal a atteint sa plus grosse cote de popularité, avec l’exposition à la Philharmonie (à laquelle j’ai été invitée par mon collègue Corentin CHARBONNIER à participer au catalogue et au colloque d'ouverture, en tant qu’universitaire spécialisée dans la question) et le concert de GOJIRA à la Conciergerie de Paris en ouverture des Jeux Olympiques… Comment peut-il être plus encore au centre du jeu ?

- Pumpkin-T : Nous venons d’atteindre le summum de la reconnaissance et personne ne m’avait prévenu ? Horns up ! Vive le Heavy Metal et vive la culture Rock !

- Sixtine AUDEBERT : La culture Rock de manière générale est très certainement devenue une musique pour collectionneur et esthète ; on la considèrera bientôt comme on considère le jazz, son heure de vie est passée. L’énergie qu’elle véhiculait est désormais incompréhensible : le monde a changé. Si le magazine/fanzine et le disque disparaissent – et hélas, je suis la première à utiliser des sites de streaming musical et me passer de presse, j’appartiens à cette génération – la musique et la manière de vivre et d’être à la marge qui dépendaient en partie de ces outils disparaissent elles-aussi.

- Pumpkin-T : Mauvais temps pour la scène actuelle aussi ?

- Sixtine AUDEBERT : Cela n’empêche pas qu’il y ait des nouveaux groupes de qualité, ni qu’il y ait des revivals ou des hybridations… Mais tout ça n’a plus le même sens, et malgré des « heureux hasards », cela vire quand même la plupart du temps à la parodie grotesque – que ce soient les vieux groupes qui ne sont plus que la caricature d’eux-mêmes ou les nouveaux qui demeurent des simulacres vidés de la densité du présent. Il n’y a qu’à fréquenter quelques concerts pour constater que le renouvellement générationnel ne s’opère plus, que le sang neuf ne circule plus.

- Pumpkin-T : Eh ! Moi aussi j’apprends des trucs par cœur, mais plus courts. Attends… dans ton édito’ tu glisses entre parenthèses ce message subliminal : « vu l’état de la presse, et la mutation du milieu metal ». Peux-tu nous décrypter ce message ?

- Sixtine AUDEBERT : Haha, je n’appellerais pas ça un message subliminal… Mon édito’ est plutôt franc du collier et totalement transparent ! Si tu m’autorises à en citer les quelques lignes finales qui explicitent ce paragraphe, et qui rejoignent ce que je répondais à ta précédente question.

- Pumpkin-T : Vas-y, j’autorise.

- Sixtine AUDEBERT : « En cette année 2024, le metal entre à la Philharmonie, avec tout le soutien de la SACEM et d’autres organismes du même acabit (quand ce n’est pas le soutien/partenariat d’établissements bancaires sur des médias qui y sont plus ou moins liés !). Il y en aura pour démontrer que c’est une « victoire », que le metal jouit désormais d’une forme de « reconnaissance » – disons plutôt de tolérance – étant admis comme divertissement, inoffensif et, au contraire, lucratif. Pour preuve, le Hellfest est vu d’un bon œil : il est un stimulant pour l’économie locale (hôtels et restaurants voisins du site de Clisson enregistrent leurs plus gros chiffres de l’année) et une attraction pour le territoire régional (c’est l’occasion de découvrir les alentours pour les festivaliers venus de toute l’Europe). […] Hier, au cinéma, j’ai reconnu le morceau « Thunderstruck » d’AC/DC dans la bande annonce du dessin animé Moi Moche et Méchant 4 ; dans le métro, la publicité pour le nouveau show « rock » de Disney montre en gros plan la main d’Alice (au pays des merveilles) se saisissant d’un micro imitant la mano cornuda… On ne compte plus les numéros hors-série articulés autour du genre metal publiés par des titres qui n’en ont jamais traité – ni même ne l’ont respecté – (les Inrocks, l’Ecran Fantastique et quantité d’autres). »
Cela se passe de commentaires.

- Pumpkin-T : D'ac. Mais une fois le heavy metal socialement toléré, c’est quoi le prochain mouvement ? Tu crois qu’une lame de fond culturelle aussi profonde et durable puisse de nouveau se produire dans le contexte actuel ?

- Sixtine AUDEBERT : Question un peu complexe à traiter.
Tout le monde a désormais accès à tout, sans effort (tout est à portée de clic) ; sans apprentissage préalable, sans nécessité d’une histoire longue avec les cultures en question, donc sans respect. Et sans risque qui plus est, puisque c’est « gratuit » ! Le divertissement est consommé en quantité et aussi vite oublié avec une désinvolture suprême – car quand on investit zéro euro, on ne s’engage en rien... Mais rien n’est jamais vraiment gratuit.
Donc non, je ne crois pas que dans cette culture Internet un courant musical puisse fédérer à nouveau la jeunesse de manière aussi unanime, dans un seul élan, avec autant de force, qu’à l’époque des groupes comme SEX PISTOLS en occident pour le punk, ou TRUST en France pour le hard.

- Pumpkin-T : De nombreux experts en sciences humaines ont théorisé sur la manière dont se forgent les goûts musicaux. C’est pas forcément ta branche, mais quel est selon toi la part du libre-arbitre dans ces choix ? Avec les années qui passent, crois-tu que la nostalgie prenne inexorablement le pas sur la curiosité ?

- Sixtine AUDEBERT : Si, c’est tout à fait ma branche : en tant que littéraire, mon rôle ne se résume pas à débusquer les fautes d’orthographe et relever/classer les figures de styles – comme une prof de français qui décernerait de bonnes notes. Je cherche bel et bien à décrypter dans l’écriture de ces fanzines, comme un scientifique, comme un archéologue le ferait avec des éléments fossiles, ce que c’est que d’être un fan de hard en France dans les années 1980. Leur manière de bricoler et de se mettre en scène dans leurs écrits cristallise une infime part de l’esprit de l’époque que je m’efforce d’extraire. L’autodétermination que signifiait nécessairement la passion à ce moment rayonne dans ces pages.
Je crois dur comme fer en ceux qui ne mangent pas le midi pour s’acheter quelques disques, qui sont prêts à faire des kilomètres le weekend quitte à foirer les examens, inquiéter les parents et se perdre dans la cambrousse anglaise ; qui le font parce que leur amour de la musique (ou autre) l’exige de manière impérieuse, intransigeante et absolue, en comprenant que ce choix implique des résignations et des renoncements ; ceux qui ne cherchent pas à rafler « le beurre et l’argent du beurre ».

- Pumpkin-T : Ta description imagée de la passion est tellement belle que je vais la garder comme conclusion.
Merci Sixtine pour le temps que tu as consacré à METAL INTEGRAL et à bientôt, non pas pour un N°4 mais pour un vol de RËQUIËM vers d’autres horizons !

***


Infos pratiques
Si vous êtes assez rapides, nous devriez pouvoir vous procurer un exemplaire de ce fameux RËQUIËM #3 (Fanzine au format livre, 244 pages) : ICI !
Prévoir des lunettes solaires en raison du rayonnement de la passion.

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