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Black metal primal
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J’avoue n’avoir jamais suivi la discographie de ce groupe autrichien de Black Metal ; par contre, je confesse avoir été fortement impacté par leur tout premier album, Verwüstung / Invoke The Dark Age, paru fin 1994 chez Napalm records (petit label pointu dans ses choix à l’époque). Aussi l’édition par Darkness Shall Rise productions des cinq démos enregistrées par le trio (devenu duo depuis), avant la parution de ce premier album, me paraît-elle judicieuse. Au menu de ce double album, on trouve pas moins de vingt morceaux, pour une durée totale d’1h26 : le client n’est pas volé !
S’agissant de démos datant des années 90, il faut bien avouer que le son n’est pas optimal, entre des guitares rythmiques aigrelettes, un chant crissant et une batterie pétaradante. Dans la logique du Black Metal de l’époque, ces défauts formels objectifs pouvaient passer pour des conformations, certes maladives, mais volontaires. Le fait qu’ils concourent encore aujourd’hui à renforcer l’âpreté, fondamentalement misanthropique, du Black Metal haineux pratiqué par ABIGOR.
Par ailleurs, cette mise en son pour le moins primitive ne doit pas faire oublier des paramètres qui permettaient de distinguer ABIGOR des hordes de centaines de groupes ou de projets solo, à l’époque récemment convertis au Black Metal et lancés dans une course éperdue à la cacophonie. Dès le stade des démos, ABIGOR faisait montre d’une authentique clarté dans son projet. Il y avait tout d’abord une batterie qui développait un gros volume de jeu, avec une réelle capacité à négocier des changements de rythme et de tempo, refusant ainsi le piège insidieux de la monotonie.
Plus classiques, les guitares rythmiques débitaient tout l’attirail du riff basique, grésillant, ô combien abrasif, singulièrement mixé en retrait par rapport à la batterie et au vocaux. Lesquels feront peut-être sourire aujourd’hui, de par leur rendu particulièrement aigre, gorgé de réverbération. Il n’empêche que leur expressivité malsaine et leur débit aboyé contribuaient grandement à installer un climat hostile.
Ajoutons que le mixage rendait justice au jeu d’une basse agile et tendue, qui donnait un relief dynamique aux rythmiques. Lesquelles alternaient judicieusement les accélérations foudroyantes et les moments plus lents, plus solennels.
Outre sa capacité précoce à varier rythme et tempo, ABIGOR faisait montre d’un talent avéré en matière d’ambiances, multipliant les introductions (quitte à pirater DEAD CAN DANCE sur le fort logiquement nommé Dance Of The Dead), mais également les quelques breaks mélodiques, positionnés au sein-même des compositions, avec un sens affûté du contraste efficace.
Grâce à ces démos, on comprend mieux la qualité intrinsèque de l’album inaugural Verwüstung / Invoke The Dark Age. De même, on sent poindre cette injonction à ne pas se résigner aux stricts canons d’un Black Metal réinventé. Certes, cette compilation s’adresse avant tout aux collectionneurs, aux fans transis ; il n’empêche qu’elle permet de se retremper dans une époque où le Black Metal n’avait pas encore figé ses propres préceptes.
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